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Yves Laforest

 

René Rivard, par Laurentin Lévesque

Le très lent parcours d'un très long silence de nord
  

Il y a une trentaine d'années, j'écrivais en guise de bio : "Enfant du Nord, René a très jeune construit des "cageux" sur les lacs éloignés de l'Ontario et du Québec, il a chassé la tortue et pêché la truite; il a aussi toujours absorbé beaucoup d'images de lacs et de rivières... et a toujours beaucoup dessiné, depuis toujours".


 

J'ai aussi écrit : "René est un fils spirituel du Groupe des Sept, et notamment de Lawren Harris". J'ignorais alors l'existence d'une magicienne comme l'américaine Georgia O'Keefe, qui savait aussi opérer une transsubstantiation de son univers visuel en un monde plastique dans un film récent capté sur TFO, la télévision éducative de langue française de l'Ontario, celle-ci disait par quel mystérieux besoin elle était portée à s'inspirer de fleurs, par exemple, pour produire ses propres formes visuelles "telles que mon esprit les conçoit", disait-elle, en insistant sur le mot esprit. Pareillement, depuis ce temps lointain, j'ai pu observer chez René le développement graduel de cette fusion de l'oeil et de l'esprit, la construction de ce langage personnel qui a mûri à longueur de temps dans un silence de nord.



René Rivard – [Noranda (Qc), 1946] - n’est connu que de quelques parents et intimes.  Il a très peu exposé.  Il peint d’abord par nécessité, comme il respire.  Il est l’incarnation même de celui qui peint sous la poussée d’un besoin, d’une urgence intérieure ; c’est sa façon de sentir, de raisonner, de réfléchir au sens ou à l’absurdité des rapports humains.  De peu de paroles, il dessine depuis toujours, dans le silence.  Depuis toujours il refait ainsi constamment le monde à sa façon, à sa vision, dans des tableaux toujours remplis de silence.

Il faut avoir assisté à ses croquis au fusain, réalisés à une cinquantaine de kilomètres-heure sur les routes sinueuses des Alpes qui traversent de l’Italie à la France, alors que toutes les quelques secondes le paysage change fondamentalement de structure dans des basculements de perspectives vertigineuses.  Point de temps – ni d’espace routier ! – pour s’arrêter et corriger telle ligne, reprendre telle courbe, ajouter tel bosquet.  Non.  Tourne la page, et nous voici dans un autre pays !  Plus près de nous, on peut reconnaître une route de St-Tite ou une clôture de perches de fermes loyalistes de la région de Brockville.  Une spécialité de notre homme, le croquis-voiture.

Toutes ses toiles ont donc une source précise dans l’espace géographique.  Pour qui a pu être témoin de cette genèse, quelle que soit la transformation opérée sur le matériau, il est toujours possible de replacer le moment dans son lieu d’origine et, presque toujours, malgré l’apparent charivari des couleurs, de le dater à la saison près.  Mais, laissons-là l’anecdote.

C’est ici que le travail de transmutation commence,… le croirions-nous, …dans une alchimie silencieuse, celle qui préside au passage de l’esquisse au tableau.  Que la page soit une « 17 x 22 » avec deux ou trois traits représentant toute une vallé de la Pennsylvanie ou qu’elle tienne sur un feuillet de petit carnet ligné où sont juxtaposées quelques formes imprécises notées près de North Bay, accompagnées de mentions telles que ‘bleu’, ‘bleu plus pâle’, ‘gris-vert’, à chaque fois il est étonnant de voir la chimie jouer, la recomposition se bâtir comme sous sa propre poussée tellurique.  Du prétexte initial jaillit un être tout à fait autonome, libre – et silencieux – qui ne doit son existence qu’à lui-même, penserait-on ; une réédition de la Création, en quelque sorte.

Il faut avoir suivi, au fil des ans, l’évolution progressive de ce désir de fabriquer pour et par lui-même des paysages – toujours des paysages, rarement piqués de constructions humaines, jamais habités par l’homme ou ses créatures anthropomorphes – aux ciels verts, reflétés dans des eaux jaunes où se baignent des soleils bleus, rouges ou mauves, qu’importe.

Quand on est en coulisse à regarder par le trou de la serrure, on s’étonne de la constance du parti : reformuler le monde – c’est tout simple, dirait-on – refaire la création de l’univers, petit coin par petit coin, en y mettant son ordre personnel.  Et, peu à peu, la forme se géométrise, les parties se disciplinent, s’organisent en une molécule cohérente qui gravite sur elle-même, les couleurs se combinent, chacune renfermant un peu de chaque autre, espèce de force d’attraction tout à fait matérielle qui lie entre elles les parties de cet univers concentré.  Que de musique dans ce silencieux visuel.  Je me plais à essayer d’imaginer le moine des temps antiques qui a pu, un jour (une nuit, peut-être) enfanter la mélodie aérienne du Veni Creator, cette pure ligne d’un équilibre absolu, qui émane du silence même, se déploie avec toute la puissance d’une simplicité apparente, pour retourner au silence, cette fois-ci fécondé par l’Esprit.

 

René Rivard est né à Noranda, au Québec.  Pendant toute sa jeunesse, il a vécu comme à cheval sur la frontière Québec-Ontario.  Autodidacte, il a commencé à dessiner des fleurs dès le plus jeune âge.  Son oeil l’a guidé dans sa démarche profondément – farouchement, dirais-je – indépendante.  «Pour le diplôme », il fit ses Beaux-Arts et décrocha un baccalauréat en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal en 1975, puis il revint à son cheminement d’antan, en ayant quand même hérité au passage de quelques solides  amitiés qui ont su durer jusqu’à maintenant.  Enseignant de profession et multidisciplinaire de nature, il a plutôt gagné son pain, sa vie durant, dans les domaines de la santé mentale et de la surdité, – l’art, ça mène à tout ! – autres univers où le silence est roi.  Toujours homme de peu de paroles, il a peu exposé, et par périodes très éloignées dans le temps.


René Rivard
613-748-3057
info@renerivard.com

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